Historique de la prise en charge scolaire de l'arriération

2.2.1 Les premières classes de perfectionnement

       Par la Loi du 15 avril 1909, sont créées les premières écoles et classes de perfectionnement pour enfants arriérés. Il s’agit de classes annexées aux écoles élémentaires publiques ou d’écoles autonomes de perfectionnement qui peuvent comprendre un demi-pensionnat ou un internat. L’article 2 précise :

« Les classes annexées recevront les enfants de six à treize ans.

Les écoles autonomes pourront, en outre, continuer la scolarité jusqu’à seize ans, donnant à la fois l’instruction primaire et l’enseignement professionnel. »

           

      

       L’article 12 fixe les conditions d’orientation des élèves.

« Une commission composée de l’inspecteur primaire, d’un directeur ou maître d’une école de perfectionnement et d’un médecin, déterminera quels sont les enfants qui ne peuvent être admis ou maintenus dans les écoles primaires publiques et pourra autoriser leur admission dans une classe annexée ou dans une école de perfectionnement, si l’enseignement ne doit pas leur être donné dans la famille.

Un représentant de la famille sera toujours invité à assister à l’examen de l’enfant. »

      

       Il est précisé par ailleurs que ces classes sont soumises à une double expertise : l’inspection primaire, telle qu’elle est prévue par la loi du 30 octobre 1886, et l’inspection médicale, organisée par les communes ou département fondateurs. Les observations faites sur l’enfant doivent être consignées sur un livret scolaire et sanitaire individuel. L’idée est donc de renforcer le contrôle des mauvais éléments dans l’éventualité d’une mise à l’écart de la classe ordinaire plutôt que de fournir un soutien renforcé dans le cadre d’une organisation pédagogique particulière.

      Dans sa thèse publiée en 1914, Enfants anormaux et délinquants, le Dr G. HEUYER estime que le nombre de classes de perfectionnement est très au-dessous des besoins et cherche à démontrer qu’il est extrêmement difficile de séparer en deux catégories les anormaux des délinquants, ces groupes ayant tendance à se confondre. Il pense que c’est à l’école qu’il appartient de déceler le plus tôt possible les enfants anormaux et d’agir en conséquence. Les Drs PHILIPPE et PAUL-BONCOUR vont dans le même sens en affirmant que « le milieu scolaire constitue par la force des choses un excellent réactif pour déceler les tares mentales des enfants. » [1]

      Pour sa part, HEUYER prône un tutorat tout le long de la vie des enfants scolarisés en classe spéciale afin de réduire les risques de délinquance précoce. Même envisagée dans sa dimension sociale, cette proposition tend à instaurer une surveillance quasi permanente sur les sujets les plus susceptibles de troubler l’ordre social. Ces conceptions, comme nous le verrons infra, perdurent après 1945, y compris dans le discours des écoles normales. Par ailleurs, en ce qui concerne les établissements spécialisés, HEUYER regrette que ceux-ci soient ouverts sans contrôles ni garanties et s’indigne des mauvais traitements subis par les pensionnaires.

      Mais le mouvement en faveur de l’enfance dépasse désormais le cadre des philanthropes et des psychiatres pour s’inscrire dans un contexte socio-politique où s’affirme de plus en plus le devoir social d’assistance. On en trouve les prémices dans la Loi de 1841 interdisant aux enfants de moins de huit ans le travail dans les usines :

« La société doit assister les infirmes, les incurables, les vieillards dont l’intérêt personnel est seul en jeu, qui sont devenus définitivement inutiles à leurs semblables et auxquels il ne faut pas espérer rendre leur valeur sociale. La société n’a pas d’intérêt immédiat et actuel mais elle a un intérêt élevé indispensable. Il n’y a pas en effet de société possible sans assistance aux infirmes reconnus. »

 

    2.2.2.    Le « solidarisme » ou la naissance d’une volonté éducative       

      C’est principalement au Parti Radical Socialiste que l’on doit nombre de projets de lois concernant l’enfance inadaptée. C’est d’abord Léon BOURGEOIS, militant actif, ministre de l’Instruction publique, président de la Ligue Française de l’Enseignement et auteur de nombreux ouvrages sur le solidarisme, qui est à l’origine de deux notions fondamentales : la « dette sociale » et le « quasi-contrat ». Selon lui, « les hommes qui sont privés de la plus grande partie des avantages sociaux ont le sentiment de leur créance, ils souffrent, ils se sentent frustrés, ils réclament leur part, mais ne pouvant exactement mesurer le dommage qui leur est fait et calculer le juste objet de leur revendication, ils s’irritent, s’abandonnent à la violence...Aucune loi ne doit pouvoir aggraver les inégalités naturelles des hommes. Il faut que l’instruction soit offerte gratuitement à tous, et dans des conditions telles que tous puissent en réalité en profiter. Le problème social est en dernier mot un problème d’éducation. »[2]

      L’action de BOURGEOIS en faveur de l’enfance anormale doit se comprendre dans un vaste combat en faveur de la solidarité qui dépasse le cadre habituel du « catholicisme social ». Lorsqu’on dénombre les projets de loi déposés en faveur de la protection ou de l’éducation des enfants déficients, on constate que la plupart émane du Parti Radical Socialiste.

      De son côté le Ministère commence à s’intéresser lui aussi à la question. En 1905, il réalise une enquête et évalue le nombre d’arriérés à 14.200 (8.336 garçons et 5.864 filles), d’instables à 3.400 (1.855 garçons et 1.545 filles) pour une population de 5.015.416 enfants, ce qui représente au total 3,5 p. 1000 de la population enfantine [3]. Une commission est chargée d’évaluer le nombre d’éducables. Les signalements doivent être rédigés par les instituteurs, mais ceux-ci se plaignent de ne pas disposer d’outil fiable de repérage. C’est dans ce contexte que l’on fait appel à Alfred BINET qui s’est fait connaître par ses études de céphalométrie sur les enfants arriérés de la colonie de Ferray-Vaucluse. En une année, il conçoit une Echelle Métrique de l’Intelligence, destinée à évaluer les capacités des enfants et à les classer. Après quelques modifications, le test s’affine et comporte des items différents pour tous les enfants de trois à douze ans. Cependant, BINET reste relativement prudent quand à la valeur prédictive de l’outil :

« Notre but est, lorsqu’un enfant sera mis en notre présence, de faire la mesure de ses capacités intellectuelles, afin de savoir s’il est normal ou arriéré. Nous devons à cet effet étudier son état actuel et cet état seulement, par conséquent nous négligeons son étiologie... En ce qui concerne son avenir, même abstention, nous ne cherchons pas à établir ou à parer un pronostic. Nous nous bornons à recueillir la vérité sur son état présent. »

      Malheureusement, le collaborateur de BINET, SIMON se montre moins avisé et n’hésite pas après la mort de BINET en 1911 à infléchir les travaux dans la direction de la psychologie individuelle de l’époque – dans laquelle se reconnaissent STERN (promoteur du Quotient Intellectuel), BALDWIN ou DEWEY. De fait, l’échelle métrique va devenir, avec la création des classes de perfectionnement, un instrument de ségrégation et de norme scolaire.

      Cette situation est aggravée par le fait que l’évaluateur n’est autre que le maître en charge de l’enfant et donc susceptible d’infléchir dans le sens qu’il désire les résultats. BINET précise d’ailleurs à toutes fins utiles :

« Il est clair que cette méthode de mesure ne peut être mise entre les mains du premier venu... Elle n’a rien d’automatique, on ne peut la comparer à une bascule de gare sur laquelle il suffit de monter pour que la machine délivre votre poids imprimé sur un ticket. Ce n’est pas une méthode de manoeuvre et nous prédisons au médecin pressé qui voudrait la faire appliquer par des infirmières qu’il aurait des déboires... Tout procédé scientifique n’est qu’un instrument qui a besoin d’être utilisé par une main intelligente. » [4]

 

    2.2.3     La période 1936-1945        

      Sous le Front Populaire, on assiste à l’émergence d’une pensée nouvelle à l’égard des enfants déficients. Les temps changent et l’idée selon laquelle la collectivité a le devoir de prendre en charge tous les enfants, y compris les plus démunis fait son chemin dans les consciences. A l’idée émanant des milieux conservateurs et catholiques qu’il existe un devoir moral envers les plus défavorisés, se substitue alors le projet égalitariste d’un enseignement pour tous selon les capacités de chacun.

      Une donne politique nouvelle va favoriser les initiatives allant dans ce sens, dont la plupart émanent des Radicaux. Malheureusement, le budget ne passe pas le Sénat et ces tentatives vont se heurter aux problèmes de financement d’une part, à l’imminence de la guerre d’autre part. En 1938, le Comité de Protection de l’Enfance fusionne avec le Comité des enfants traduits en justice et devient le Comité de défense et de protection de l’enfance en danger physique ou moral, présidé par Pierre VIDAL-NAQUET. D’origine juive, il doit se retirer en juin 1940 au profit du maire de Marseille, Henri RIPERT.

      Sous le régime de Vichy, on assiste à une reprise en main politique de l’Education Nationale qui aboutira à une véritable chasse aux sorcières vis-à-vis des instituteurs politiquement engagés ou francs-maçons. Parallèlement, le dossier sensible de l’éducation des enfants arriérés est confié aux institutions médicales dans une perspective ancienne remise au goût du jour : celle de l’hygiénisme. Le Dr PREAUT se félicite de cette orientation dans un article publié en janvier 1945 [5]  :

« C’est un lieu commun de rappeler que l’éducation des enfants déficients ou difficiles déborde les moyens de la pédagogie courante et qu’il est naturel que le médecin, censeur et guide de l’homme total, s’efforce d’inspirer les mesures à prendre. En effet, il n’y a de connaissance du mauvais écolier, du mineur délinquant, de l’apprenti incapable, que s’il y a connaissance de l’être humain dans son ensemble, car le comportement ne figure que la résultante de ces forces biologiques, psychologiques et mentales, dont les distinctions arbitraires procèdent plus d’un souci d’étude que d’une expression de vérité. 

Au carrefour de ces forces, le médecin garde une place particulière par ses études, sa formation et sa mission d’expert. Il n’y a de connaissance du problème social de l’Enfance déficiente ou en Danger moral que s’il y a connaissance de la maladie sociale qu’il exprime.

A cet égard, la Médecine du temps présent, glissant du particulier au général, ambitionne d’ajouter à ses traditions une activité nouvelle : celle de discerner les causes et les remèdes des maladies collectives de la société.

Comme pour les problèmes généraux de l’alcoolisme, de la tuberculose, de l’inadaptation professionnelle, du mal vénérien, le médecin, de guérisseur et de protecteur de la Personne, devient l’hygiéniste, thérapeute de la prévention et la prophylaxie de la pathologie des collectivités […] C’est la raison pour laquelle elle part en flèche dans des activités que ne doivent plus confisquer les éducateurs traditionnels de l’enfant. »

 

      Avec PETAIN, la politique générale pour la jeunesse inadaptée doit s’appuyer essentiellement sur les œuvres privées. La plupart des centres ont le statut de centre du travail des jeunes. L’Association des Jeunes de France (A.J.F.), créée par FRANTZ et FOURMESTRAUX, entend favoriser le développement pour les jeunes « de la fidélité au chef de l’Etat et du respect de la famille » ainsi que « le culte de l’esprit national ». Elle gère tous les centres spécialisés pour jeunes déficients sous le régime de Vichy. [6]

      Une commission chargée des enfants inadaptés est nommée. Présidée par le Pr HEUYER, elle entend procéder à une nosographie précise des cas recensés. La notion d’inadaptation englobe dans une même entité les enfants et adolescents déficients mentaux, sensoriels, physiques, difficiles, délinquants, abandonnés ou orphelins. Une sous-commission chargée du dépistage est sous la responsabilité du Dr Louis LE GUILLANT. Par ailleurs, le gouvernement estime que c’est aux œuvres privées de s’occuper de ces enfants. Au départ, l’Education Nationale n’est même pas associée à la commission, elle ne le sera que grâce aux vives protestations de Paule MEZEIX, inspectrice à la laïcité implacable. LE GUILLANT regrette pour sa part la parcellisation des institutions s’occupant d’enfants déficients, jugeant par ailleurs leur valeur et leur action inégales. Inutile de préciser que les œuvres confessionnelles participent largement à cette orientation.[7]

      La même année sont constituées les Associations Régionales de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence (A.R.S.E.A.), que l’on doit considérer comme des organismes régionaux de type semi-public. Les ARSEA sont en grande majorité présidées par des médecins et des juristes, les enfants dont elles ont la charge étant considérés comme des cas médicaux ou sociaux héréditaires. Elles distribuent des subventions aux institutions qui y sont affiliées et peuvent orienter l’œuvre vers telle ou telle spécialisation, en fonction des besoins locaux. Elles s’occupent en outre de former des rééducateurs. Les ARSEA se distinguent par une politique de soutien accrue aux œuvres privées. En 1944, on compte une dizaine d’ARSEA répartie sur le territoire. Celle de Paris est déclarée en 1943.

 

2.2.4.                        Changements politiques à la Libération : une impulsion nouvelle mais des conceptions dépassées

      La situation rééducative à la Libération est partagée entre deux pôles, clairement définis : d’une part, la rééducation médicale, confiée au secteur de la santé, d’autre part la rééducation pédagogique sur laquelle l’Education Nationale entend garder la haute main. En 1944, on compte environ 470 classes spécialisées regroupant au total 7050 enfants pour une population de 190 000 enfants déficients.

      Certaines structures du régime de Vichy perdurent un moment. C’est le cas de l’A.J.F., mais une enquête est demandée à son sujet par l’inspecteur d’Académie le 12 novembre 1945. Cette enquête révèle que certaines institutions n’existent que sur le papier et précipite l’adoption d’un décret visant à créer les Ecoles Nationales de Perfectionnement (E.N.P). La loi des finances du 31 décembre 1951 consacre le caractère d’établissement public des E.N.P. (la même année, l’A.J.F. est supprimée). En 1954, il existe onze établissements de ce type sur le territoire, dont six en région parisienne : Crèvecoeur-le-Grand, Bonneuil-sur-Marne, Nogent-sur-Marne, Ollainville près d’Arpajon, avenue Jean-Jaurès et rue de Belleville à Paris.

      Par ailleurs, les résultats de l’enquête réalisée par la Commission permettent de constater que la déficience intellectuelle s’accentue avec l’âge, atteignant 15 p. 100 à l’âge de 11 ans (elle ne serait que de 2 à 3 p. 100 à l’âge de 7 ans). La discrimination selon le sexe n’apparaît pas de façon sensible, contrairement à ce qui est affirmé aujourd’hui et confirmé par les chiffres. En revanche, il semble que les enfants de milieu rural ou villageois soient globalement mieux adaptés que les enfants des villes grandes et moyennes. En ce qui concerne le facteur socio-économique, les résultats les moins bons sont tout de même repérés chez les enfants de cultivateurs et d’ouvriers agricoles. Les plus favorisés sont les enfants dont les parents pratiquent une profession libérale ou intellectuelle. La proportion est plus forte chez les enfants dont la mère est au foyer que chez ceux dont la mère travaille. Ces résultats présentent de nombreuses analogies avec d’autres enquêtes réalisées avant ou après la guerre dans différents pays (Etats-Unis, Japon, Angleterre). Néanmoins, on est obligé de constater les circonstances particulières dans lesquelles elle a été menée en France. L’étude de certains mémoires de stagiaires CAEA après la guerre montre en effet que la préoccupation principale de l’Education spécialisée reste la rééducation morale. Nous avons pu nous procurer l’un de ses mémoires, qui nous semble refléter assez justement les préoccupations de moralisation des masses encore fortement ancrées chez les instituteurs à la fin de la guerre.

      Dans son dossier de fin de stage intitulé « L’enfance et l’adolescence délinquantes », une stagiaire s’interroge sur l’avenir des 30 000 enfants qui comparaissent annuellement devant les tribunaux[8].

« Quels principes éducatifs faut-il inculquer à des enfants si divers ? Quelles méthodes adopter, quelles sanctions appliquer ?

Quelles maisons d’éducation attendent ces enfants ? »

 

       Contrairement à ce qu’indique l’enquête effectuée par la commission, les circonstances particulières de l’Occupation apparaissent nettement. Notre stagiaire cite des chiffres alarmants :

« De 1940 à 1941 le nombre de crimes et délits d’enfants est multiplié par deux. En 1942, la courbe atteint son clocher : le chiffre est presque trois fois plus élevé qu’en 1939. Il apparaît immédiatement que la guerre est un terrain favorable à la délinquance. »

« Pour l’année 1944, le nombre de crimes et délits commis par des mineurs s’élève à 2389. Aucun crime n’est recensé, et les deux tiers des infractions ne sont que des vols simples. 161 délits ont été commis par des mineurs âgés de moins de treize ans.

« On peut estimer qu’en cette période de rationnement, les chapardages devaient être monnaie courante. »

           

       Au chapitre « causes de la délinquance juvénile », sont citées en premier lieu « l’absence d’autorité paternelle », « la non-fréquentation scolaire » (« à cause des bombardements, les jeunes prirent le goût de l’oisiveté ») suivies par la « sous-alimentation » et enfin « la pénurie alimentaire et vestimentaire ». Plus loin le ton se fait nettement plus moralisateur : « L’habitude du gain facile entraîne vite au cambriolage » (p.5), « Le prestige de l’uniforme, joint à la richesse en produits alimentaires de nos alliés et même de nos ennemis, a conduit de nombreuses mineures au vagabondage. On dit que la prostitution était à la fin de la guerre de 900% par rapport à 1939. »

       A ces causes conjoncturelles, l’auteur ajoute les « causes habituelles » : la dissociation familiale (« 65% des mineurs traduits devant le juge sortent d’un foyer dissocié »), mais surtout l’hérédité, qu’elle considère comme un facteur essentiel.

« Un examen systématique des mineurs traduits en justice révèle que presque toujours, parmi leurs parents ou leurs ancêtres, plusieurs sont atteints d’éthylisme ou de maladies vénériennes. 50% des petits caractériels portent des traces d’alcoolisme.» (p.7)

      

       Les traces en question se réfèrent largement aux conceptions médicales de l’époque.

« Les maladies mentales, ou même les psychopathies légères des parents se répercutent aussi dans leur descendance. Les enfants peuvent être des cyclothymiques, des mythomanes, des cleptomanes, des psychasthéniques, types que l’on rencontre souvent chez les délinquants. »

      

       Les conditions de vie ne sont pas oubliées :

 « Le taudis et son complément inévitable pour l’adolescent, le café, constituent la troisième cause. Un enfant ne peut sans souffrir mener une existence animale dans une roulotte, une cave ou dans les ruines des régions sinistrées ; dans une mansarde éclairée par une simple lucarne, meublée de chaises défoncées, de matelas posés à même le sol, où les parents se donnent des coups, parlent un langage ordurier, boivent. A Paris, se trouvent encore des habitations semblables, surtout dans les « secteurs noirs » des 18ème et 19ème arrondissement. […] MIRABEAU écrivait : l’entassement des hommes comme celui des pommes engendre la pourriture. »

      

            Les jugements de cette stagiaire à l’égard des familles déshéritées et les préoccupations professionnelles qui en découlent nous montrent que le discours n’a, en réalité, que peu évolué depuis le début du siècle. Les représentations semi-savantes véhiculées par les instituteurs ne diffèrent pas fondamentalement des conceptions moralisatrices de la société d’alors. L’idée qui prédomine reste celle de l’origine sociale ou génétique de la déficience.

            En effet, il faudra attendre le procès de Liège en 1963 (une mère a tué son enfant né sans bras à la suite d’un empoisonnement par la thalidomide) pour que le grand public évolue sur ces questions et prenne conscience de la souffrance parentale qui est associée au handicap. A l’idée de la responsabilité individuelle supposée liée à une conception déterministe – les tares sociales –  va progressivement se substituer celle d’une conscience collective face à des fléaux médicaux qui dépassent la compréhension des familles.

       La création d’associations de parents d’enfants inadaptés, il est vrai encouragée par le milieu médical chrétien, va renforcer cette prise de conscience. L’idée selon laquelle toute famille peut être touchée par la maladie mentale va faire son chemin de façon durable et entraîner un changement de mentalité aboutissant à la création de nombreuses structures associatives.



[1] Extrait de leur thèse de médecine, cité par Jacqueline ROCA, Contribution à l’histoire de l’éducation des enfants inadaptés : 1909 à 1975, Thèse de Doctorat d’Histoire, Paris VII, 1989.

[2] Cité par Jacqueline ROCA, op.cit., p. 40

[3] En France, 2,73 p.100 des enfants et adolescents d’âge scolaire sont accueillis ou scolarisés dans le secteur de l’éducation spéciale (établissements de l’Education nationale ou des Affaires Sociales).

[4] Alfred BINET, Les Idées modernes sur les enfants, (1911), 1973, P. 122-123

[5]  la Santé de l’homme n° 27,  janvier 1945

[6] Jacqueline ROCA, op. cit.,  p.163

[7] Jacqueline ROCA, op. cit., ch III

[8]  Ce mémoire a été rédigé dans les années 49-50 par une stagiaire de la région parisienne. Il nous a été transmis sans la couverture, de manière à préserver l’anonymat de la candidate.

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