Le rôle transculturant de la médiation ethnopédagogique

    Dans les années 70-80, l’éducation nationale a commencé à prendre conscience de l’écart qui existait entre les valeurs prônées par l’Ecole et les représentations des familles qui la fréquentaient. On a commencé à parler de pédagogie inter-culturelle pour évoquer des actions que je qualifierais de « reconnaissance » de la différence, même si cette reconnaissance portait sur des valeurs essentiellement « folkloriques » : la cuisine, l’habillement et la danse. Quand elles ont permis à certaines familles d’oser entrer dans l’école et de se sentir davantage à leur place dans l’espace scolaire, elles n’ont sans doute pas été tout à fait vaines. Le problème est qu’elles n’ont pas toujours eu pour objectif que s’échangent les représentations sur ce qui fait problème dans la difficulté scolaire. Et si l’Ecole ne l’a pas fait, c’est sans doute parce qu’elle n’était pas encore prête à s’interroger sur les valeurs implicites qu’elle véhiculait. Elle était encore dans la logique de l’acquis social et politique qui en faisait la légitimité aux yeux de ses contempteurs, sans comprendre par ailleurs que cette légitimité ne pouvait être immédiatement comprise par ceux qui ne l’avaient pas réclamée.

       Si l’Ecole n’est pas encore en mesure de se « méta-connaître » comme système de transmission et d’apprentissage, avec ses valeurs, ses modes de fonctionnement, son système de pensée, c’est qu’elle se vit comme un lieu incontournable, essentiel et transcendantal, espace absolu de la transmission et de la formation des futurs citoyens – donc non susceptible d’être questionné ou remis en question – que comme une culture parmi d’autres. Il a fallu que d’autres espaces d’information et de transmission se créent – centres de documentation, écoles parallèles, enseignement à distance, associations culturelles, Internet – pour qu’elle commence à réfléchir sur son mode de fonctionnement et d’organisation. Ce faisant, elle a commencé à être capable d’expliquer ce qu’elle voulait et ce qu’elle recherchait (cf. ROCHEX, 1999)

       De ce point de vue, les associations de promotion culturelle ont un rôle certain à jouer, notamment par l’instauration d’espaces et d’échanges, mais aussi, sur le mode identitaire, dans le processus de distanciation par rapport aux valeurs familiales et culturelles du pays d’origine d’une part, des valeurs scolaires et citoyennes du pays d’accueil d’autre part. Sur le plan théorique, il est peut-être intéressant de distinguer trois types d’action, sans lesquelles les notions mêmes de médiation ou de pédagogie interculturelles me semblent floues, maladroites ou imprécises.

a)      Les actions visant à rapprocher le contexte scolaire d’apprentissage (CSA) du contexte familial d’éducation (CFE).

Ce sont les actions engagées par l’Ecole – ou par des éléments institutionnels extérieurs – vers l’enfant et par lesquelles ce dernier aura la possibilité de reconnaître les éléments culturels propres comme étant de nature à :

-         favoriser l’apprentissage en général

-         être eux-mêmes des supports d’apprentissage

On peut considérer la pédagogie inter-culturelle comme l’une de ces actions, même si le caractère « folklorique » qu’elle revêt parfois – les fameuses pédagogies-couscous[1] - tend à en limiter les bénéfices en terme de préadaptation scolaire.

La médiation doit se donner des objectifs plus ambitieux en négociant avec ce qui constitue les projets implicites et explicites des deux partenaires éducatifs que sont l’enseignant d’une part, la famille d’autre part.

b)      les actions visant à rapprocher le CFE du CSA.

Ce sont les actions de médiation engagées par des éléments intégrés de la communauté culturelle d’appartenance vers les familles engagées dans le processus de scolarisation et qui permettent à ces dernières d’intégrer le projet explicite de l’Ecole et de voir dans quel mesure celui-ci recoupe ou contrevient au projet familial.

c)      les actions éducatives transversales

Ce sont des actions qui font intervenir différents partenaires appartenant au tissu associatif, éducatif ou aux administrations locales et qui concourent à établir des protocoles éducatifs dans lesquels interviennent des acteurs provenant de différents contextes : sportif, artistique, culturel, technologique, muséologique, etc.

-         les actions de réseau d’éducation prioritaire (actions REP*)

-         les actions « contrat de réussite »

-         les actions des contrats éducatifs locaux (CEL*).

-         Les actions du programme de réussite éducative (PRE)

       Il est difficile pour l’instant de faire un bilan précis des actions transversales engagées dans la mesure où la plupart de ces actions sont récentes et reposent davantage sur des dynamiques de quartier que sur un réel engagement éducatif. La multiplication des dispositifs transversaux ne favorise pas toujours la « lisibilité » des actions entreprises et suscite parfois un désengagement étant donné la complexité des  partenariats. Par ailleurs, j’ai pu constater que la transparence n’est pas toujours de mise dans le choix des intervenants ou des partenaires engagés. En outre, la suspicion sectaire qui entache l’action de certaines associations a rendu difficile le dialogue entre l’Ecole et le réseau associatif. Le fait que des associations se permettent de démarcher directement les familles à leur domicile, que certaines soient liées à des œuvres religieuses peut gêner certains partenaires éducatifs (parents ou enseignants) qui estiment en outre que le financement par l’Etat de ces associations prive l’Ecole de moyens. Enfin, les enseignants craignent dans leur grande majorité et sans doute avec quelque raison que l’Etat ne cherche à se désengager de missions de remédiation dont il avait la charge en misant sur la bonne volonté du réseau associatif local pour résoudre par « l’animation » ce qui relève davantage de l’orthopédagogie.

       Nous verrons par ailleurs que si ces actions s’avèrent le plus souvent nécessaires pour qu’une parole s’engage entre les adultes qui concourent à la réussite de l’enfant, parents, éducateurs et acteurs sociaux, elles ne permettent pas toujours à l’enfant de situer et d’interpréter les différents contextes d’éducation. C’est pourquoi il nous faut à présent définir les enjeux et les modes d’intervention des différents types d’aide, de soutien, de remédiation et de rééducation proposés aux enfants dans le cadre de leur scolarité.



[1] On entend par pédagogie-couscous les fêtes ou kermesse durant lesquelles les parents migrants sont invités à proposer des plats régionaux.

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